
QU'EN EST-IL DES FEMMES PHILOSOPHES ? INTRODUCTION.
Par le Shemsu Maât Grégoire Biyogo.
Une idée reçue veut que les femmes ne se soient intéressées à la philosophie que marginalement, voire accidentellement au motif d'une présumée paresse, lorsque, à la vérité, ces femmes, ont bien souvent été ostracisées. Dans tous les cas, elles sont bien plus nombreuses qu'on ne le soupçonne... Certes leur accès à la philosophie a-t-il été difficile, mais le déficit quantitatif dont elles témoignent en la matière s'explique surtout par la différence sexuelle qui traverse cette science elle-même, considérée comme la plus élevée de l'esprit, comme la science des sciences, puisque, initialement, elle entendait unifier tous les savoirs et toutes les sciences. La Sia, telle que les Shemsu Maât de Kémit l'appellaient, a été de bonne heure, enseignée dans les Per Ankh, dans les Maisons de Vie, les lieux secrets, comme toutes les institutions savantes et initiatiques d'Egypte. C'était le plus grand des enseignements où véritablement les Shemsu Sia étaient des esprits maîtrisant la totalité des connaissances de leur temps. Aussi étaient-ils à la fois savants, mathématiciens, astronomes, logiciens... chimistes, architectes à la manière d'Imhotep...
Dans Shemsu Maât, il convient d'entendre les "suivants" de la Maât, c'est-à -dire les amis de la sagesse (Sia), les amis de la vérité, de la liberté autant que de la justice, laquelle a été pour ainsi dire éludée dans la définition hellénistique du terme philosophe, "ami de la sagesse", et de la science, sauf chez Socrate qui était au demeurant phénicien, comme au reste Thalès, et Platon, où cette acception terminologique du philosophe comme ami de la justice a été préservée à travers le concept de Thyphon et de Bien chez Platon. C'est que les philosophes, à l'origine, par définition, sont supposés penser la totalité des sciences autant que tous ses actes. Il jouit donc d'un prestige intellectuel, et constituent une espèce de classe d'exception dont l'accès est fermé, plus encore pour les femmes.
Au nombre de ces esprits prestigieux, on trouvait cependant des femmes. Je ne vais en citer ici que quelques unes pour ce qui est essentiellement de Kémèt et de la Grèce.
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I-KEMET.
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1-Hatshepsout (la première des nobles") Maât karê.
Si le temple de Karnak possède encore un obélisque de la grande femme "pharaon", qui mourut à 30 ans à peine, il faut souligner que Thoumosis III, son "persécuteur" a fait disparaître le souvenir de son règne, et forces informations ont disparu avec cet acte, dont celle de voir en elle une philosophe, doublée d'une architecte.
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2-Hypatie d'Alexandrie.
Elle était mathématicienne et philosophe, son père Théon d'Alexandrie, dernier directeur du Musée de la Ville phare, était éditeur et commentateur de textes mathématiques, on prétend qu'elle a dirigé l'école néoplatonicienne d'Alexandrie. Elle connaissait bien l'astronomie, la musique; sa pensée se découpe en trois axes : la Sia, les sciences et la vertu. Elle meurt lapidée par des moines chrétiens, sur ordre de Saint Cyrille, alors évèque d'Alexandrie.
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II-MONDE ISLAMIQUE
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-La "falasifa" est la tradition antique de la pensée islamique, en réalité, après examen, il est apparu qu'il s'agit du nom d'une femme philosophe.
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III-MONDE GREC
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1-Thémistocle
Outre les savants et Shemsu Maât de Kémit, Pythagore a été enseigné par cette femme philosophe, impératrice de Delphes.
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2-Théano de Crotone
Epouse de Pythagore, elle était membre avec leurs trois fils du culte pythagoricien. Elle aurait développé la doctrine des nombres.
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3-Diotime de Mantinée
Esprit brillant, ce fut l'une des Maîtresses de Pythagore. Socrate dit lui devoir l'essentiel de sa science, Platon la cite dans un de ses Dialogues.
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4-Aspasie de Milet
Rattaché au Cercle philosophique de Périclès, reine de l'éloquence et de la rhétorique dont il est attesté qu'elle était fréquentée par Socrate pour apprendre d'elle en la matière...
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5-Arété de Cyrène
Soeur d'Aristippe, mai de Socrate présent lors des funérailles du Maître de l'Agora, tenu pour être le fondateur de l'Ecole Cyrénaïque à Cyrène. L'on dit qu'elle a succédé à son frère à la tête de cette Ecole de pensée. Et que 110 philosophes célèbres ont été ses disciples, et on lui prête 40 titres restés introuvés...
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IV-CONCLUSION PROVISOIRE...​
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Ainsi donc, à Kémèt comme en Grèce, il apparaît que les femmes philosophes n'aient pu prospérer qu'à l'ombre de leurs époux ou de leurs pères: Aledésia a été l'épouse d'Hermias, Tomoxéna, celle de Plutarque, Hipparche femme de Cratès, les 3 filles de Pythagore (Démô, Arignoté et Myia, comme la petite fille Bitalè) et son épouse Théanô... toutes philosophes... Puis les 5 filles de Diodore et celles d'Olympiodore...
Aujourd'hui encore, en Europe, en France (Simone Weil, Simone De Beauvoir, Maîtresse et Muse de Sartre, Hannah Arendt, maîtresse de Heidegger, Isabelle Badinter, épouse du constitutionnaliste éminent, doublé d'un philosophe du droit...) comme en Afrique (Sall-Diop, Thiam, Thihibilondi Ngohi, Boni, Mpudu...), on trouve quelques femmes philosophes de renom.
Ainsi donc, le retard numérique des femmes au titre de philosophe n'en limite ni le caractère d'exception (De Aspasie de Milet qui inspire Socrate à Simone De Beauvoir, première à l'agrégation de philosophie qui relit les textes ontologiques de Sartre)... ni même la puissance de leur philosopher... C'est que l'histoire de la philosophie les a scotomisées (mettre dans l'ombre), et il revient aux historiens de la philosophie professionnels que nous sommes, de corriger cet oubli coupable, et d'encourager les femmes à s'adonner à la Sia, l'enseignement de la philosophie, bien qu'elle n'ait pas toujours bonne presse puisqu'elle culmine au coeur des corps de métiers non rentables, en dépit de sa densité. Les femmes philosophes n'ont pas davantage bonne presse, qui jusqu'à assez récemment, étaient considérées comme de bien le champ philosophique de plus en plus déserté dans un monde où le performatif est donné pour être le meilleur gage de "vendabilité," d'où la relégation extrême du méditatif... de la quête de la pierre philosophale...
Cette stratégie de l'exclusion des femmes à la sapience ne grandit pas la société de l'Esprit, qui s'évaluera toujours à la manière dont elle traitera la femme, la Nature, l'animal, l'enfant, les vieillards, l'étranger (Levinas, Derrida) et les peuples stigmatisés (les Noirs, les Juifs, les Tsiganes... les minorités...).
