
ENJEUX ET PERSPECYIVES DE NOTRE DERNIER OUVRAGE : DECONSTRUIRE LES ACCORDS DE COOPERATION FRANCO-AFRICAINS,
Paris, 2011. Par Grégoire Biyogo, politologue et philosophe.
1-Ces Accords de coopération reposent sur une philosophie des échanges de plus en plus obsolète consistant dans la surexploitation tous azimuts de l'Afrique, sans la moindre contrepartie, et de ce fait, ils sont le coeur de cette nébuleuse et non moins réelle institution nommée " la Françafrique". C'est le Texte qui lui confère toute sa a légitimité. Récemment seulement, stupéfaits, nous avons re-découvert la violence inimaginable et inhumaine des deux Codes Noirs français et espagnol, remis à jour en philosophie politique entre autres par Sala Mollin et par nos propres soins, d'ici peu, dans une syntaxe d'apparence moins brutale mais non moins austère et inhumaine, l'on commencera à découvrir que Les Accords de coopération franco-africains sont le Texte de droit le plus inacceptable des Temps modernes. Et l'on s'apercevra que ni la lettre de 1885, le fameux Congrès de Berlin, ni l'esprit de l'Edit Colonial et impérial n'ont été un tant soit peu ménagés par ces Accords dont la cruauté bestiale est à nul autre égal. Il y est stipulé au demeurant que l'on ne peut y renoncer que par consentement mutuel. Or, depuis au moins les années 1990, l'Afrique entend renoncer à ce boulet, mais la partie française - toutes sensibilités politiques confondues - atermoie, promet d'y réfléchir, procède par effets d'annonces, diffère tranquillement, ruse encore et encore, reportant aux calendes grecques l'Affaire la plus scandaleuse des Relations internationales, et ne consent jamais assez à l'examiner, moins encore à en abandonner les termes et les vicissitudes.
2-Or, l'Histoire, mais la Grande, consiste dans le courage, la clairvoyance et la capacité juridique, philosophique et politique que les Hommes ont d'abandonner ensemble et d'un commun accord la servitude qui tétanise leurs échanges, bien qu'inégalement affectés. Ainsi de l'Esclavage naguère, de la Ségrégation raciale aux USA, de l'Apartheid en Afrique du Sud autour des années 1990... Mais au sujet des Accords de coopération militaires, économiques, politiques et industriels, l'on ne peut que s'étonner de ce que la République semble toujours s'en accommoder impunément comme si la philosophie de la surexploitation économique et de la domination de l'Afrique qui traverse ces Textes n'était pas de nature à en prononcer "hic et nunc" l’aggiornamento, pour mettre à plat ces textes qui désapproprient économiquement et financièrement l'Afrique, et ne permettent pas qu'elle procède à la souveraineté politique et économique. Mais il y a plus grave, à l'heure où la coopération internationale a pris le parti du co-développement des partenaires, et de l'équilibre des différents ensembles, selon le prisme de l'interconnexion des facteurs du Développement, et de la conception planétaire des échanges, ces Accords qui sont à la fois lisibles et secrets et qui
font obstruction jusques y compris à la notion de propriété partagée, sont devenus non seulement le Mouton de la coopération franco-africaine, mais encore d'un autre temps, tant leur esprit ne correspond plus à la lecture progressiste et évolutive des échanges...
3-Statiques, stagnants, inégaux, autoritaires, acquis à la domination impériale et unilatérale, les Accords sont un système de pouvoirs piétinant le droit et heurtant le principe moderne de la coopération mutuelle fondée sur le co-développement et la co-assistance des compétences. En cela, ils sont le dernier texte de servitude catégorielle des Relations entre Etats de droit. Leur maintien correspond au maintien de la violence la plus répugnante dans les échanges commerciaux et diplomatiques internationaux, et leur persévérance témoigne du parti pris des grandes puissances à maintenir inamovibles les Rapports de hiérarchisation et de domination dans les échanges. Or, ce que l'on attendait au lendemain de la décrispation des Rapports de tension Est/Ouest, c'était la décrispation des Relation entre l'Euro-Amérique et leurs anciennes colonies devenues depuis des Etats de droit. En renonçant à créer des Rapports normatifs de co-appartenance dans un espace d'échange planétaire, en creusant l'écart entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre les Grands blocs économiques de la Planète, c'est à l'idée même de Développement équilibré et équitable que l'on renonce.
4-Aussi le caractère médiéval des Accords et la philosophie de la puissance qui les constitue sont-ils hostiles à l'idée même de co-développement des Etats de droit dans une perspective moderniste et enrichissante des Relations internationales. D'où la grande tricherie au sujet d'un Monde qui prétend devenir monde et qui, dans le Même temps, refuse d'abandonner ses habitus impériaux et séparatistes, ses réflexes de puissance. Or la seule puissance dont a besoin un Monde qui aspire à devenir Monde, réside dans sa capacité à abandonner les positions qui régulent la servitude ( la sienne comme celle des Autres), à exorciser le désir de domination sur tout ce qui est, et à entrer dans la civilisation d'une interconnexion équilibrée et attachée au droit, à la justice, au partage des richesses et à la résolution planétaire et pacifique des conflits, des Guerres.
5-L'Afrique, la Grande Exclue de la puissance du feu et de la négociation des Marchés, pourrait bien jouer un rôle décisif dans cette postulation pacifique vers un Monde moins inégal et moins injuste, avec une Histoire qui ne soit plus seulement celle des vainqueurs contre vaincus, avec l'éternel et abâtardissant manichéisme de son écriture, mais une Histoire qui s'écrit avec des combinaisons complexes, multiples, faites de renoncement mutuel aux pouvoirs et aux forces aveugles, au profit de la puissance - de-penser- autrement le vivre-ensemble. Ici, le XXI siècle sera africain ou ne sera pas. Une Afrique qui, au lendemain des Guerres de Côte d'Ivoire, de Libye et du Printemps arabes, a déjà renoncé au cadavre d'une Histoire re-colonisatrice et aspire à une autre Histoire ouverte au règlement juridique et pacifique des conflits...
6-Et peut-être reviendraient-ils à l'idée néo-kantienne de la paix planétaire ces philosophes d'Occident qui depuis se sont tus, voués qu'ils sont à l’idolâtrie des avoirs factuels et inégaux régentés par les intérêts des Région du Monde, et des seuls Etats jugés dignes de détenir le titre de la puissance entéléchique d'Aristote à Husserl. Ces philosophes qui ont cessé de déplier le jugement critique face à la domination anarchique et à l'injustice du Capital, et qui ont ravalé la sophia à l’inconstance en donnant leur caution à la totalisation des échanges, à leur ensorcellement ou même à quelque enchantement face à la puissance et à la domination unilatérales. Mais était-ce cela le nom propre de la philosophie chez les pères fondateurs de la discipline dans le foyers égypto-nubien, où la Raison était attachée aux oeuvres de la justice, de la vérité et de la liberté à travers le concept de la Maât ? A considérer même le recommencement de la philosophie en terre grecque, avec sa laïcisation, ces Grecs desquels l'Occident concède tenir cette science - où a-t-on jamais vu les philosophes défendre coûte que coûte les positions de Force qui confortent les puissances injustes, inégales et prisonnières d'une organisation autarcique de la gouvernance et des échanges au moment même où le vivre-ensemble est en péril ?
7-Le fait est que, le temps de la philosophie à nouveau est là , non plus celui d'une pseudo-philosophie qui a dévoyé l'universalité des principes, de la liberté, son unicité et son exigence impérieuse, ni celle de la convenance qui a renoncé au jugement auto-critique, mais celle qui, renonçant au situationnisme, aux honneurs de l'instant, à la gloire des vainqueurs, au temps des manichéismes et des essentialismes, reviendra à l'exigence radicale de vérité, celle qui échoit à l'Absolu et se donne comme incorruptible. Nous autres philosophes et politologues diopiens, nous reconnaissons dans cette conception inconditionnelle d'une vérité sans complaisance, qui se nourrit à l'exigence de la progression des connaissances, de l'idée du droit, du vivre-ensemble, de la justice et des libertés.
Paris, le 25 décembre 2011.
